Love for Livres est une entreprise à mission qui partage, en France et à l’international, des émotions de lecture pour créer des transformations sociales et de l’impact positif dans la société, à destination de personnes et ou de collectifs. Elle s’appuie sur trois outils principaux : une plateforme digitale pour trouver et partager des livres en fonction des émotions, Les bibliothèques des Émotions©, des bibliothèques physiques d’un nouveau genre, ainsi que des programmes d’accompagnement et de soin par les livres et les sciences cognitives fondés sur la « bibliothérapie ».
Entretien avec Céline Mas, co-fondatrice de Love for Livres
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Comment est né Love For Livres ?
L’idée de Love for Livres est née il y a 10 ans et l’activité en 2020. L’envie de départ était de mettre les pouvoirs de la lecture entre toutes les mains.
Mon cofondateur et moi-même sommes des lecteurs invétérés. La lecture a changé notre vie depuis l’enfance, et nous voulions le partager avec d’autres personnes d’une manière simple et joyeuse.
Nous avons eu l’intuition que les émotions étaient un bon canal pour le faire, qu’elles permettaient de rapprocher les gens des livres à travers ce qui fait notre humanité commune. De fil en aiguille, nous avons aussi décidé de nous appuyer sur les sciences cognitives auxquelles nous nous sommes formés. C’est ainsi qu’est né Love for Livres. En prenant notre temps, en approfondissant le sujet mais avec passion. Il faut de la patience et de la passion, nous dit Maya Angelou.
Quelles sont vos diverses activités ? A qui s’adressent-elles ?
Nous nous appuyons sur trois outils principaux :
1/ Une plateforme digitale pour trouver et partager des livres en fonction des émotions (www.loveforlivres.com). Cette plateforme qui existe en anglais et en français s’adresse à toutes et tous et elle est complètement gratuite sans inscription. Si vous vous inscrivez, toujours gratuitement, vous pouvez accéder à certains services comme le partage de readlists.
2/ Les bibliothèques des Émotions© sont des bibliothèques physiques d’un nouveau genre que nous avons créées. Elles permettent de présenter les livres en fonction des émotions. Elles sont innovantes car elles modifient la façon dont on imagine la bibliothèque classiquement et dont on l’aborde.
Leur objectif est de rendre l’espace bibliothèque chaleureux et accessible, de faire découvrir les livres autrement, avec une notion ludique car les lecteurs/lectrices peuvent changer les livres de place en fonction de leur émotion du moment !
3/ Nos programmes d’accompagnement personnels/professionnels et de soin par les livres et les sciences cognitives fondés sur la « bibliothérapie ». Les publics sont très variés, en France et dans : étudiants, citoyens, patients (santé), jeunes et seniors, adultes en situation professionnelle ou personnelle, familles, personnes en situation de handicap, personnes réfugié.e.s, personnes en situation de vulnérabilité qu’elle soit d’origine sociale, économique ou politique, entreprises, institutions, collectivités etc…Cette diversité nous réjouit et elle prouve bien que les pouvoirs des livres ne connaissent pas de frontières !
Pourquoi créer un réseau social ? Combien de membres compte-t-il ? Qui sont les usagers de la plateforme ?
Love for Livres était un réseau social tel qu’on l’entend aujourd’hui mais le projet a évolué ; l’approche crée du lien social mais autant en version digitale que dans la vraie vie ! Et le site est plus aujourd’hui un moteur de recherche émotionnel qu’un réseau social au sens strict même si une communauté est constituée. Nous investissons encore assez peu dans le « marketing digital » pour nous faire connaître. C’est un choix, nous choisissons prioritairement d’investir sur la qualité de nos programmes, notre pertinence technologique et la recherche-action.
A ce jour, la plateforme compte plus de 3000 inscrits et dix fois plus de visiteurs uniques depuis le début de l’année, pour 80% de femmes, une majorité de personnes entre 25 et 45 ans, plutôt francophones même si les anglophones représentent environ 30% de la communauté. Le CSP n’est pas renseigné en tant que tel mais quelques données nous laissent penser que les personnes viennent à la fois de milieux plutôt favorisés mais aussi plus populaires car l’entrée par les émotions intrigue et laisse le jeu ouvert. Nous avons par ailleurs beaucoup de « nouveaux » lecteurs, les lecteurs assidus utilisant très peu de plateformes et passant plutôt par des prescripteurs classiques dans leur réseau ou via les médias. C’est formidable parce que c’est justement l’un de nos objectifs : attirer à nous toujours plus de lecteurs en herbe et les convaincre de rester.
En quoi le prisme des émotions pour la recommandation de livres vous paraît-il particulièrement pertinent ?
Les émotions sont universelles, de Tokyo à Rio en passant par l’Europe, nous sommes toutes et tous dotés d’émotions. Il n’y a pas d’élitisme dans l’émotion, tout le monde peut ressentir et cela simplifie beaucoup l’accès au livre.
Les émotions sont aussi au cœur de l’expérience de lecture : un bon livre déclenche des émotions et c’est ce qui rassemble les lecteurs, leur donne envie de partager des livres. Les émotions sont des espaces de dialogue et d’enthousiasme essentiels pour faire grandir l’envie de lire.
Par ailleurs, les émotions sont liées aux sciences cognitives et cette approche scientifique est importante pour Love for Livres : nous avons l’ambition de développer des projets dans le domaine des « Health Humanities » c’est-à-dire les Humanités au service de la santé et du bien-être. Les pouvoirs de la lecture s’additionnent et jamais ne s’annulent !
Qu’est-ce que la bibliothérapie ? Comment améliore-t-elle la vie des personnes en difficulté ? Comment créé-t-elle du lien et favorise-t-elle l’inclusion ? Avez-vous des exemples concrets à nous donner ?
La bibliothérapie est le soin par les livres. Ce n’est pas une approche médicale, ni thérapeutique au sens strict malgré le terme. C’est en revanche une méthode paramédicale, complémentaire aux autres approches, qui permet d’accompagner des personnes ou des collectifs.
Sadie Delaney Peterson, une bibliothécaire qui travaillait alors à l’hôpital des vétérans de Tuskegee en Alabama dans les années 1920, développa cette approche avec la particularité de la mettre au service de personnes vulnérables : soldats blessés lors de la première guerre mondiale notamment mais aussi enfants de quartiers populaires. Elle donna à la bibliothérapie un souffle civique et un impact social qui n’existaient pas jusque-là puisque dans l’Antiquité ou les temps plus ancestraux, la lecture à vocation « thérapeutique » était réservée aux plus riches. Tout au long du vingtième siècle, la bibliothérapie se développe dans des lieux de soin, surtout dans les pays anglo-saxons. Depuis une dizaine d’années, elle est de plus en plus développée à destination du grand public mais nous sommes encore au début d’un chapitre….
La bibliothérapie crée du lien parce qu’elle permet de partager des histoires dans l’histoire : celles des lectrices et des lecteurs qui échangent le temps d’un atelier sur leur regard sur un texte, leurs émotions, leurs blocages ou leurs rêves. Le seul fait d’être à l’écoute d’autres personnes dans un espace privilégié et au contact de textes inspirants crée un cercle magique – c’est un terme qui vient de l’humanitaire – protecteur et revigorant pour l’esprit et l’énergie. Un atelier réussi fait baisser le stress, apaise, stimule l’imagination. Il valorise les différences sans jugement à l’image de romans aux personnages divers ; il est accueillant pour toutes sortes de personnes. L’inclusion passe par le groupe et par la capacité de la méthode à créer non des similitudes entre les gens mais une harmonie : ensemble, chacun avec soi.
Love for Livres y ajoute deux de ses spécialités : les émotions et les sciences cognitives.
Les ateliers peuvent être organisés pour toutes sortes de publics ; voici quelques exemples :
– un atelier auprès de personnes victimes de cancer. Une révélation pour elles ! Un moment où elles reconnaissent avoir oublié leur douleur le temps de l’échange.
– un atelier pour des dirigeants d’entreprise. Lire des textes leur fait du bien et leur permet de découvrir des facettes de leurs « soft skills » autrement.
– un atelier pour des parents vulnérables socialement qui s’interrogent sur la parentalité. C’est un moment qui leur appartient et leur permet de prendre du temps pour eux, de faire le point sur leur situation, de réfléchir et de se détendre alors que le sujet est souvent sensible.
– un atelier pour des personnes réfugié.e.s. C’est un moyen magnifique de les aider à se projeter vers l’avenir alors qu’elles ont tout perdu.
Pensez-vous réussir à donner le goût de la lecture, des textes et de la langue aux personnes qui en sont éloignées ?
Au moins 2/3 des participants aux ateliers nous disent à l’issue que l’atelier leur a redonné le goût de lire ! Donc clairement, oui. Ensuite, il faut garder l’humilité et la clairvoyance : un atelier ne change pas tout d’une vie, il crée bien souvent des déclics, petits ou grands, et c’est ce qui compte. Il faut ensuite que ces déclics soient entretenus d’une manière ou d’une autre. C’est pour cela que nous sommes plutôt partisans de programmes, c’est-à-dire une série de sessions, autour d’un thème personnel ou professionnel : dans la durée, nous pouvons construire des effets plus durables.